Compensation carbone et conservation forteresse : les habits verts du colonialisme

©Lila Akal

La COP26 s'est terminée sur un constat attendu mais pas moins terrifiant pour autant : une fois de plus, les dirigeant.e.s des 200 pays représentés ont renoncé à prendre des mesures contraires aux intérêts des puissants lobbies de l’industrie mondiale, alors même que l’urgence climatique provoque partout dans le monde des désastres sociaux et environnementaux, y compris dans les pays du Nord jusque-là relativement épargnés.

 

Les inondations dévastent l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie, des incendies ravagent l’Australie, le Canada ou l’Espagne, la pollution fait des millions de victimes en Chine, en Inde… Des pays dont les gouvernements rassemblés n’ont pourtant eu qu’un seul souci : mieux réglementer le marché du carbone, un système de compensation que les représentant.e.s des peuples autochtones et de nombreuses ONG sont venu.e.s dénoncer à Glasgow, une présence massive pourtant peu rapportée dans les médias.


Membres de peuples autochtones s'exprimant lors de la COP26 à Glasgow

©COICA

Comment fonctionne ce mécanisme ? C’est très simple. Une entreprise qui génère plus que son quota d’émissions de GES peut acheter des « droits à polluer »  à une entreprise qui a réduit ses émissions et qui donc, n’ayant pas atteint son quota, a le droit de revendre ses droits non utilisés. Mais elle peut aussi « se racheter » en finançant des programmes censés lutter contre le dérèglement climatique et contribuer ainsi, en théorie, à faire baisser les émissions de carbone mondiales.

 

Très simple en effet, mais d’une parfaite perversité. Il s’est ainsi créé un marché du carbone qui a représenté en 2020 des transactions d’un montant de 57 milliards de dollars dans le monde. Des multinationales des secteurs les plus polluants mettent en avant leurs investissements dans des forêts existantes ou dans des programmes de reboisement, voire même soutiennent des actions de préservation de la biodiversité.

©Lila Akal

Sauf que, ce que ne disent pas ces entreprises dans leurs campagnes de communication, c’est que :

  • les forêts deviennent des lieux de marchandisation, où la spéculation liée au marché du carbone engendre des tractations, dans lesquelles les peuples autochtones ne sont absolument pas          consultés et sont donc une fois de plus victimes d’appropriation des terres ancestrales ;
  • les plantations sont le plus souvent des monocultures d’une essence d’arbres absolument non adaptée au biotope local, mais que la multinationale saura à terme exploiter, ou même cédera à une entreprise d’exploitation forestière ;
  • là où des terres pourraient être consacrées aux cultures vivrières, ces programmes de « reforestation » déséquilibrent des territoires déjà fragilisés par les activités légales ou illégales liées à l’exploitation minière ou à l’agro-industrie.

©Lila Akal

Dans le même temps, comble du cynisme, l’ONU étudie la possibilité de lancer un programme de conservation de la nature sur 30 % de la planète, alors même que, il n’est jamais inutile de le rappeler, 80 % de la biodiversité de ce monde sont protégés par les peuples autochtones. Or, au lieu d’être reconnus pour leur rôle de défenseurs de l’environnement, ceux-là mêmes qui préservent depuis des millénaires faune et flore, forêts et rivières, se voient le plus souvent expulsés de leurs terres ancestrales par la création des parcs naturels.

 

Ce début de XXIe siècle voit les grandes puissances poursuivre les politiques des colonisateurs dont elles sont les héritières, en décidant entre elles de la destination de territoires qui serviront leurs intérêts politiques et économiques, excluant d’office les peuples autochtones des instances de décision internationales.

 

A Marseille, en septembre dernier, nous étions réuni.e.s pour le 1er congrès pour décoloniser la conservation de la nature, « Notre terre, notre nature ». Et c’est pourquoi, sans attendre les COP 27, 28… nous vous invitons à lire et à diffuser le manifeste qui l’accompagne, que nous avons signé avec des ONG, des expert.e.s scientifiques et activistes, autochtones ou non, et des représentant.e.s de peuples engagé.e.s dans la défense des droits de leurs communautés : https://www.notreterrenotrenature.fr/manifeste

Manifestation devant le siège du congrès de l'UICN dans le cadre de l'événement "Notre terre, notre nature", 3 septembre 2021

©Survival International España