Les crédits carbone : la réalité derrière l'écran de fumée

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En décembre 2022, Diana Puenguenan, sociologue du peuple Pasto vivant dans le resguardo (territoire autochtone) de Cumbal, dans le département de Nariño en Colombie, découvre qu’un document entérine la vente de crédits carbone impliquant le territoire de son peuple, ainsi que de trois autres resguardos voisins, dont aucun n’avait été consulté pour ce contrat.

 

Le resguardo de Cumbal est d’une rare richesse sur le plan environnemental, car il comprend 49 000 hectares de páramos, ces hauts plateaux andins dont l’importance est capitale de par les ressources hydriques qu’ils recèlent. Les páramos sont au cœur de la vie et de la culture des peuples qui les protègent.

 

La découverte de ce contrat, déposé sept mois plus tôt sans qu’aucune information ne leur ait été communiquée, a mobilisé les habitant·es du resguardo, qui se sont constitué·es partie civile devant le juge. L’affaire était révoltante : des crédits carbones avaient été vendus à l’entreprise américaine de pétrole Chevron, responsable de multiples actes écocidaires en Amérique latine, sans respecter l’obligation légale de consultation des communautés autochtones. La consultation préalable avant toute intervention dans un territoire autochtone est pourtant une obligation internationale depuis l’adoption de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail relative aux peuples autochtones, ratifiée par la Colombie.

 

Le collectif créé par les habitant·es du resguardo Cumbal a pu démontrer que le contrat ne comportait aucune mesure de protection environnementale ou sociale. Pire encore, le programme était certifié par une société d’audit allemande dont la fondatrice n’est autre que la gérante d’une des entreprises ayant lancé ce projet dénommé cyniquement « Pachamama Cumbal »[1].

 

Un jugement en première instance avait suspendu le projet et rappelé les conditions dans lesquelles un tel contrat pouvait être valablement proposé à une communauté autochtone. Le 23 août dernier, le tribunal pénal prononçait en seconde instance l’invalidité du contrat et en confirmait la suspension, imposant l’obligation aux entreprises citées au tribunal de clarifier les retombées financières, sociales et environnementales pour les resguardos concernés avant toute négociation ultérieure.

 

Cette décision a été saluée comme la plus ferme jamais prononcée en Colombie contre un contrat de compensation carbone et une victoire historique, dans un pays où la majorité des programmes REDD+ se déploient sur des terres qui sont la propriété collective de peuples autochtones, une situation rappelée par la juge du tribunal de Nariño.

 

De nombreuses communautés réfléchissent aux propositions qui leur sont faites d’accepter des contrats REDD+. Dans certains cas, une protection des droits et des mécanismes de subsistance peut être le critère de certification de ces contrats et leur être, au moins sur le papier, vraiment garantie.

 

Mais derrière un vaste écran de fumée, les multinationales, sociétés pétrolières, compagnies aériennes, industries de l’agro-alimentaire et autres achètent un « droit à polluer », qui fait l’objet d’une véritable spéculation en bourse. Les contrats ne bénéficient pour ainsi dire jamais à la planète, et rarement aux populations vivant dans des régions où neuf fois sur dix leur existence continue d’être menacée, et d’où elles sont parfois même expulsées pour créer des « parcs naturels ».

 

L’ONG Survival International dénonce régulièrement les conséquences du système de compensation carbone[2], en rappelant qu’il ne s’agit de rien d’autre que de permettre aux organismes de « conservation de la nature » de conclure un pacte avec les entreprises les plus polluantes de la planète, contre les droits de celles et ceux qui la protègent depuis des millénaires. 

 

 

Corinne Ferrarons

 



[1] Le terme Pachamama, employé par plusieurs peuples autochtones d’Amérique du Sud et fréquemment utilisé comme symbole pour les luttes socio-environnementales, est généralement traduit par « Terre mère », « pacha » signifiant en aymara et quechua « terre », « cosmos », « temps » ou « espace », et mama « mère ».

[2] Cf. notamment la campagne « Carbone de sang ».